À l’invitation de son homologue kazakh, Kassym-Jomart Tokaïev, le président français Emmanuel Macron a effectué une visite officielle au Kazakhstan le 1er novembre 2023. Un voyage hautement stratégique sur le plan énergétique, économique et industriel, mais aussi culturel et géopolitique.
Un voyage hautement stratégique sur tous les plans
Après François Mitterrand – premier chef d’Etat européen à se rendre au Kazakhstan en 1993 après l’éclatement de l’Union soviétique – puis Nicolas Sarkozy en 2009 et François Hollande en 2014, Emmanuel Macron est le quatrième président français à se rendre au Kazakhstan. Une visite officielle
« à laquelle il accorde beaucoup d’importance » selon l’Elysée et qui coïncide avec le quinzième anniversaire de la signature du
Traité de partenariat stratégique entre la France et le Kazakhstan. L’objectif de ce voyage était clairement de « compléter », « diversifier », « accélérer » et « approfondir » ce partenariat stratégique avec la première économie d’Asie centrale.
Lors de leur rencontre, les deux chefs d’État ont ainsi
confirmé «
leur aspiration commune à continuer d’intensifier et diversifier les relations privilégiées existant entre les deux pays », saluant un «
dialogue confiant et régulier » à tous les niveaux et le «
fort dynamisme de la coopération politique, économique, industrielle et commerciale bilatérale ». «
La vigueur de notre partenariat vient démontrer les bons axes stratégiques qui ont été pris mais aussi la nécessité de les compléter et les accélérer, ce qui est tout le sens de la visite », a
déclaré le président français… Tandis que son homologue kazakh insistait sur la «
nécessité » de donner une «
impulsion supplémentaire » aux relations entre Paris et Astana. «
La France est notre partenaire clé et fiable dans l’Union européenne », s’est félicité Kassym-Jomart Tokaïev.
Un partenariat économique, énergétique et industriel
Concrètement, plusieurs contrats ont été signés dans les secteurs des minerais stratégiques, pharmaceutique, énergétique, aéronautique et culturel. Preuve de l’intérêt des investisseurs de l’Hexagone pour cette zone pivot, une délégation d’une quinzaine de chefs d’entreprise, dont les PDG d’EDF, de Suez et d’Orano, accompagnaient le chef de l’Etat à Astana.
Le secteur minier a été l’objet de toutes les attentions, et en particulier la question cruciale de l’approvisionnement en métaux critiques et terres rares présents dans le sous-sol de ce pays. Emmanuel Macron a
rappelé l’intérêt pour la France de ces métaux critiques, indispensables à la transition énergétique, puisqu’ils permettent entre autres de produire les aimants nécessaires aux batteries, dans les smartphones ou les voitures. Le besoin de «
sécuriser les approvisionnements » dans ce domaine a ainsi abouti à la signature d’un accord entre les deux pays – après celui signé entre l’Union Européenne et le Kazakhstan sur le même sujet en novembre 2022.
Le Kazakhstan, premier producteur mondial d’uranium (avec à lui seul 43 % du total planétaire), compte également parmi les principaux fournisseurs de la France pour ce précieux minerai (à hauteur de 40 % de ses importations). Orano (ex-Areva), spécialisé dans l’exploitation des mines d’uranium, est présent dans le pays depuis 1996 et souhaite aujourd’hui accroître cette présence… Surtout après l’incertitude née du récent coup d’Etat au Niger, autre fournisseur important d’uranium de la France.
La France est le
cinquième investisseur étranger au Kazakhstan (devant la Chine), du fait notamment de l’implantation du groupe pétrolier TotalEnergies, qui exploite conjointement l’important gisement de Kachagan en mer Caspienne et mise également sur les énergies renouvelables. Sa filiale Total Eren, qui exploite déjà deux centrales solaires dans ce pays, est en train de
construire un parc de 200 éoliennes ainsi qu’un système d’accumulation capable de fournir de l’électricité bas carbone à plus d’un million de personnes. Cette contribution à la transition du Kazakhstan vers des sources d’énergie décarbonées innovantes a été actée par les deux présidents
Le ministre kazakh de l’Énergie a également confirmé qu’EDF faisait partie des candidats pour le projet de première centrale nucléaire au Kazakhstan, dont la construction doit être confirmée par référendum d’ici la fin de l’année. Un partenariat industriel avec le groupe ferroviaire Alstom, qui dispose d’une usine de locomotives électriques dans le pays depuis 2010, a également été confirmé par les deux chefs d’Etat. L’Elysée a aussi
annoncé la fourniture de radars militaires GM 400 fabriqués par Thales «
au service de la souveraineté » du Kazakhstan.
Une coopération accrue dans de nombreux domaines
Cette visite visait également à consolider la coopération entre les deux pays sur les grands enjeux climatiques. Le savoir-faire français en matière de nucléaire civil, de gestion durable des ressources en eau ou de gestion des sites sensibles est
« demandé et apprécié »,
souligne l’Elysée. La coopération va également se développer dans le domaine de la santé via des partenariats entre des centres de formation et de recherche hospitaliers des deux pays, dans des domaines comme l’oncologie et la télémédecine. La coopération sera également renforcée dans le secteur agricole.
Après la rencontre entre les deux chefs d’Etat et l’ouverture conjointe d’un forum d’affaires franco-kazakh, Emmanuel Macron a rencontré des étudiants à l’université, car il s’agit aussi de développer la
« diplomatie d’influence » de la France envers la jeunesse. La coopération dans le domaine de l’enseignement supérieur est d’ailleurs considérée comme prioritaire : mobilité des étudiants kazakhstanais vers la France, enseignement du français au Kazakhstan
, reprise de l’enseignement du kazakh à l
’Institut national des langues et civilisations orientales à Paris
, projet de création d’une université franco-kazakhstanaise…
Un enjeu géopolitique
Mais il y a aussi une raison géopolitique à ce voyage du président français au Kazakhstan, sur fond de course à l’influence entre Russes, Chinois, Turcs et Européens. Le chef de l’État français a
salué le « refus » kazakh de prendre la «
route de la vassalisation derrière quelques puissances » et la volonté «
de construire des partenariats multiples et équilibrés avec plusieurs d’entre elles », alors que le Kazakhstan s’efforce de s’assurer une indépendance solide. Il a
tenu à remercier Kassym-Jomart Tokaïev pour ses «
positions sur la guerre en Ukraine et sur la lutte contre le contournement des sanctions ». Interrogé par des étudiants d’une université d’Astana, Emmanuel Macron a expliqué que «
si nous étions faibles avec la Russie, cela serait une très mauvaise nouvelle pour tous les pays qui ont une frontière avec ce pays ».
Les deux chefs d’État ont ainsi
souligné leur attachement indéfectible au droit international et aux principes fondamentaux de la Charte des Nations Unies, en particulier le respect de la souveraineté, de l’indépendance, de l’intégrité territoriale et de l’inviolabilité des frontières internationalement reconnues de tous les États. Ils ont également marqué leur profonde préoccupation concernant la situation en Ukraine, ses conséquences humanitaires et ses répercussions sur l’économie mondiale et la sécurité alimentaire des pays les plus vulnérables.
Longtemps pré carré russe, l’Asie centrale est très courtisée par les grandes puissances à un moment où la Russie est accaparée par son offensive militaire en Ukraine. Dans ce jeu d’influences, la Chine voisine, forte de son grand projet d’infrastructures des « Nouvelles routes de la soie », a pris une longueur d’avance. Mais l’Europe et la Turquie avancent aussi leurs pions. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a d’ailleurs été reçu à Astana deux jours après Emmanuel Macron. Disposant de sa propre stratégie, appelée « Global Gateway » (« passerelle globale »), l’UE prévoit d’investir massivement dans des projets d’interconnectivité et d’infrastructures. Ces dernières années, les liens commerciaux se sont aussi resserrés avec Bruxelles, qui est désormais le premier investisseur dans la région, devant Moscou et Pékin. Fort de cet engouement, le Kazakhstan tire profit de sa position stratégique entre l’Europe et l’Asie pour diversifier ses partenariats, et mise sur l’ouverture économique et sur une diplomatie d’équilibre pour s’affirmer.